LA DEPOSITION DE GLOVIS DOMINICI le  14  Novembre   1953

Le  14  Novembre 1953, à 0 heure 45.

Devant M. Roger FERIES, Juge d'Instruction au Tribunal de Première Instance de Digne, assisté de M. BARRAS, greffier assermenté.

Clovis   DOMINICI   a  déclaré   :

-- « Je me nomme DOMINICI Clovis, âgé de 48 ans, profession sous-chef de canton à la S.N.C.F., demeurant à Peyruis (Basses-Alpes).

« Comme je l'ai indiqué tout à l'heure à la Police Mobile, c'est alors que mon frère Gustave était incarcéré à la Maison d'Arrêt de Digne que mon père, qui m'avait demandé d'aller coucher à la Grand'Terre, m'a avoué un soir être l'auteur des coups de feu. Je ne puis évidemment préciser la date mais c'était après le dîner entre neuf et dix heures. Nous étions seuls, ma mère étant montée se coucher un instant auparavant. J'avais remarqué que ce soir-là il avait bu plus que de coutume.

« C'est lui qui a « attaqué » la Conversation sur les membres de la famille Drummond. Il m'a tenu à peu près ce langage, en patois : « Ai paù de dégun ! (Je n'ai peur de personne !). Es iou que ai fa péta leis inglés ! (C'est moi qui ai tué les Anglais). »

« Je lui faisais part aussitôt de mon étonnement en lui disant qu'il n'était pas possible qu'il ait fait uni chose pareille. Il m'a répété encore qu'il n'avait peur de personne.

« J'ai essayé de lui faire dire comment les choses s'étaient passées. Il ne m'a pas donné trop de détails mais il m'a indiqué qu'il était sorti dans le but de se rendre sur les lieux de l'éboulement et qu'il avait pris sa carabine. Il a employé le mot de « carabine » mais je pensais à ce moment-là qu'il s'agissait du fusil Gras transformé dont il se servait pour aller à la chasse au sanglier.

« Je n'ai pas songé à lui demander la raison pour laquelle il avait cru bon de se munir de cette arme, alors que son déplacement jusqu'au lieu de l'éboulement était assez court.

« Bref, il m'a expliqué, toujours en patois, que c'est à son retour de l'éboulement qu'il a eu une altercation avec l'Anglais. Mon père m'a dit s'être approché de la voiture. Le mari l'apercevant avec la carabine s'était dressé et l'avait engueulé (sic). Ils se seraient bagarrés (sic) et c'est alors que mon père se serait servi de son arme. Mon père a, ajouté en patois : « Leis ai fa péta toutes tréa ! (Je les ai tué  tous les trois !) ».

« II ne m'a pas du tout parlé de la petite. Je me suis bien gardé de lui parler des circonstances dans lesquelles il l'avait abattue, circonstances dont j'avais pu me rendre compte moi-même en arrivant sur les lieux le matin du 5 août 1952, car je craignais une vive réaction de sa part.

« Je dois vous dire à ce sujet que bien qu'étant âgé de près de cinquante ans, mon père m'engueulait (sic) encore comme un gamin et pour un rien. Je n'ai donc jamais su s'il avait tué l'enfant h l'endroit où elle a été découverte où à proximité du campement.

« II m'a cependant précisé qu'il avait tué l'homme, ensuite la femme.

« J'ai omis de lui demander ce qu'il avait fait de la carabine, mais je savais depuis le six août que l'arme avait été découverte dans la Durance.

« J'affirme n'avoir vu pour la première fois cette arme que le jour, ou plutôt le soir même où elle a été retirée de l'eau. L'un des inspecteurs la tenait dans sa main, elle était brisée. Quelques jours après, M. le Commissaire Sébeille me l'a présentée. Je reconnais que j'ai été vivement impressionné à ce moment-là, mais c'était uniquement à la pensée de l'atrocité du crime qui avait été commis. »

Demande. -- Vous venez de déclarer au cours de cette audition que lorsque votre père vous avez dit être sorti avec sa carabine, vous aviez pensé qu'il s'agissait du fusil Gras transformé. Or, au moment où Gaston Dominici vous faisait ce récit, vous saviez parfaitement, puisque vous aviez vu -- vous le reconnaissez vous-même ! -- deux fois la carabine du crime, qu'il ne pouvait plus s'agir du fusil Gras ?

Réponse. -- Oui, j'ai fait une confusion en vous déclarant cela tout à l'heure. Ce que je voulais bien vous expliquer, c'est que je ne connaissais à mon père qu'un fusil Gras.

Demande. -- Que vous a dit votre père en vous quittant le soir où il vous fit cette confidence ?

Réponse. -- Mon père m'a ordonné de ne jamais parler de cela à personne. Alors que j'étais bouleversé par le récit que j'entendais, mon père, lui, parlait sans émotion apparente et sans manifester le moindre regret.

Demande. -- Est-ce vous qui avez parlé de ces faits à Gustave ?

Réponse. -- Non. C'est Gustave qui m'en a parlé le premier quelques jours après sa sortie de prison alors que nous étions en train de couper du bois dans la montagne de Saint-Pons.

«  Je vais vous dire maintenant toute la vérité.

« Lorsque le Commissaire Sébeille m'a présenté l'arme du crime sur le bord de la route, à proximité de la gare de Lurs, j'ai reconnu aussitôt la carabine que j'avais vu déposée sur une étagère se trouvant dans le garage attenant à la forge de la Grand'Terre. Cette étagère était fixée au mur de droite en entrant dans le local. Le soir même, je me suis rendu chez mon père et ai constaté aussitôt que la carabine dont je viens de parler ne se trouvait plus à sa place dans le garage. Dès cet instant j'ai eu la certitude que c'était bien l'arme du crime.

« J'avoue que, spontanément:, j'ai pensé que c'était Gustave qui s'en était servi. Je n'ai pas songé à mon père parce que je n'imaginais pas qu'un vieillard pouvait se rendre coupable d'un tel forfait.

« Rencontrant Gustave peu après être sorti du garage, je lui ai dit : « Tu as vu I la carabine n'est plus i sa place ». Mon frère m'a répondu qu'il s'en était rendu compte. Comme je lui demandais à brûle pourpoint si c'était lui qui s'en était servi, il m'a répondu par la négative. Je n'ai pas insisté, mais cependant, un doute a persisté dans mon esprit jusqu'au soir où mon père m'a fait la confidence ci-dessus relatée.

« Lorsque j'ai retrouvé Gustave, après sa sortie de prison, dans les bois de Saint-Pons, je lui ai demandé s'il était au courant. Il m'a répondu qu'il l'était. En dehors de Gustave, je n'ai jamais parlé de cela à personne, même pas à ma femme. »

Lecture faite, persiste et signe avec nous et notre greffier.

(Suivent les signatures)

Nous présentons au témoin l'arme du crime qui a été remontée par l'es soins de la Police Mobile.

Clovis  Dominici  nous déclare   :

« L'arme que vous me présentez est bien celle qui appartenait à mon père et qui était habituellement placée sur une étagère de la remise. Je suis certain de ne pas me tromper puisque cette carabine était dépourvue d'un garde-main.

« D'autre part, le canon était fixé au fût au moyen d'un collier en duralumin qui est en votre possession.»

Lecture faite, persiste et signe avec nous et notre Greffier.

(suivent les signatures)

Depositions des protagonistes….

L'Affaire Dominici

pourquoi il est coupable …